Marine Joumard : découvrez son petit monde
- 07/07/2020
- Le petit monde de
Découvrez l’interview de Marine Joumard illustratrice
Autoportrait par Marine Joumard*.
Avec Les Petits Mondes nous poursuivons l’immersion dans les univers illustrés et plus précisément ceux des artistes présentés sur le site. Aujourd’hui c’est Marine Joumard qui s’est prêtée aux jeux des questions avant des vacances bien méritées! Son trait noir et précis, se retrouve aussi bien dans les magazines scientifiques que sur vos murs. Inspirée par les thématiques occultes et romantiques, Marine nous dévoile son petit monde, celles et ceux qui nourrissent son imaginaire et ses coups de coeur musicaux.
Alors Branchez les guitares et bienvenue chez Marine … 1, 2, 3, 4 !
Bonjour Marine, on a pu découvrir ton univers illustré sur le site et aujourd’hui j’avais envie d’aller plus loin, de passer de l’autre côté de la feuille afin que tu nous dévoiles tes influences, ce qui te plait et retient ton attention au quotidien. Puisqu’il faut un début, est ce que je peux te demander de nous parler de ton parcours universitaire et des liens avec ton métier d’illustratrice scientifique et de graphiste ?
Bonjour Morgane ! Tout d’abord merci pour cette interview, et pour tout le travail que tu fournis, que vive ton projet !
Démarrons alors, après un bac L option arts plastiques à Montpellier, j’ai suivi une MANAA (Mise à Niveau en Arts Appliqués) à l’Ecole Duperré à Paris. Ensuite, un BTS Design graphique options médias imprimés, au lycée Eugénie-Cotton à Montreuil dans le 93. J’y ai appris les bases du graphisme, de la typographie, et des compétences techniques indispensables, même la conception de bijoux. J’ai terminé par un DSAA (Diplôme Supérieur d’Arts Appliqués) Design d’Illustration Scientifique (DIS) à l’École Estienne, à Paris. Deux années vraiment géniales, avec des cours d’anatomie, de modèle vivant, une équipe pédagogique très bienveillante, une promo dans laquelle on a beaucoup appris les uns des autres. On avait affaire à de vrais clients scientifiques, on a pu se familiariser avec le monde professionnel qui nous attendait, les contraintes de la commande en temps limité, etc… J’ai donc pendant 2 ans appris les bases de l’illustration didactique et vécu quelques expériences hors-normes, dont une séance de dissection humaine à la faculté de médecine. Deux années très riches en somme !
Après mon DSAA j’ai fait 6 mois de stage complémentaire au Laboratoire de Physique des Solides, aux côtés du groupe La Physique Autrement, qui monte de nombreux projets de vulgarisation. ils collaborent régulièrement avec des illustrateurs, designers etc. C’est un stage qui a été vraiment très formateur et qui m’a permis de démarrer mon activité de freelance.
Extrait des illustrations réalisées par Marine: “Les secrets des arbres”, article paru dans le magazine hors-série spécial Sciences de La Vie, juin 2018.*
Dernièrement tu as réalisé plusieurs illustrations scientifiques, il s’agit de commandes spécifiques pour la presse comme Les lanceurs d’alerte et Les secrets des arbres ou encore pour des universités. Est ce que tu peux nous en dire un peu plus ?
Pour Les Arbres il s’agissait d’illustrations purement didactiques, c’est toujours très intéressant à réaliser car il faut faire les bons choix et on ne fait pas totalement ce qu’on veut. Pour la coupe de tronc d’arbre par exemple, il faut se focaliser sur l’essentiel, délimiter les zones importantes par la couleur, l’épaisseur du trait, le relief… l’objectif est la clarté, sans laisser de côté l’esthétique.
Pour Les Lanceurs d’Alerte, c’était en réalité un travail plus créatif, car il n’y avait pas de rigueur scientifique à respecter ou d’objectif didactique. On était plus dans la création de vignettes contextuelles: montrer que les opposants à Jean Calvin étaient envoyés au bûcher, faire le portrait d’un capitaine de navire sanguinaire dénoncé par son équipage… J’ai pensé ces images un peu comme des miniatures médiévales. Pour faire écho au thème “d’alerte” j’ai utilisé des couleurs vives et contrastées.
Pour les universités, j’ai travaillé sur des outils pédagogiques illustrés: jeux de cartes, fiches de cours… j’adore ces projets car je m’amuse vraiment, je fais des choses que j’aurais voulu avoir à l’école.
Et de manière générale, comment se passe justement une commande ? Est ce que le cahier des charges est contraignant ? Fais-tu plusieurs propositions qui sont par la suite débattues avec le responsable de publication ?
Dans le cas d’un magazine, le directeur artistique me transmet un brief rapide, par mail ou téléphone, pour m’expliquer le sujet de l’article et le contenu souhaité pour l’illustration, ainsi que les grandes lignes directrices pour la partie graphique. Pour les arbres par exemple, j’ai eu comme consignes d’adoucir mon dessin très noir et d’insister sur le feuillage.
Une fois que j’ai eu ce brief, je réalise des croquis d’intention, “roughs” préliminaires aux illustrations finales. Je les envoie au directeur artistique qui me transmet alors quelques modifications éventuelles et les valide. Après validation des esquisses je réalise les illustrations finales. Ce processus évite à chacun de perdre du temps en allers-retours et retouches. En général tout se fait dans un laps de temps très court et doit aller assez vite.
Extrait des 5 illustrations réalisées par Marine: “Qui furent les premiers lanceurs d’alerte ?”, article paru dans le magazine Ça m’intéresse n°23, Août 2018.
Est-ce que ton travail d’illustratrice nourrit ta pratique personnelle, dans les thématiques, la technique, les références, ou bien s’agit-il de deux mondes distincts ?
Je considère que les deux s’interconnectent en permanence: je fais parfois des expérimentations dans mes travaux personnels, que je ré-injecte ensuite dans du travail de commande si le résultat me plaît et a sa pertinence. Inversement, dans mes commandes professionnelles, suite à certaines contraintes comme par exemple le temps, je prends certaines décisions graphiques dont je me sers ensuite pour faire évoluer ma pratique personnelle. J’insiste par contre sur la notion de pertinence: dans mes illustrations personnelles, je me “lâche”, je cherche avant tout un rendu esthétique et à me faire plaisir. Dans un travail de commande, l’esthétique reste importante mais ne doit pas primer sur un message à faire passer ou la clarté de compréhension, donc en fonction du contexte, tout n’est pas admis.
Justement, parlons à présent de ton univers artistique. La gravure, le tatouage, les objets occultes, les jeux vidéo de quête, sont je crois des références qui t’attirent particulièrement …
J’adore les images occultes, magiques, remplies de symboles. Ces vieilles images recèlent de mystères. Les gravures anciennes qui traitent de l’alchimie, c’est beau et abscons, ça me fascine complètement. J’adore les symboles: petite c’était les hiéroglyphes, l’alphabet grec, maintenant ce sont les symboles alchimiques, les runes…
Pour ce qui est du tatouage, j’emploie des procédés graphiques similaires: Je travaille à la ligne noire claire, je fais du dot… Plusieurs de mes amis se sont fait encrer des créations qu’ils m’ont demandées (pas par moi cependant !). Mon amour du tatouage rejoint au final mon amour de l’illustration au sens large: j’y trouve le même intérêt qu’un dessin “papier”.
Les jeux vidéos, j’y ai pas mal joué quand j’étais petite, j’ai repris il y a peu de temps et je pense que ça m’avait manqué, ça peut être d’une vraie richesse visuelle et une énorme source d’inspiration. Je peux passer des heures à consulter le guide d’un jeu: les armes, les armures, les objets magiques… j’adore regarder leur design et m’en inspirer ! Ado, j’avais le guide officiel du jeu “Dragon Quest VIII”, je l’ai écrémé de long en large, plusieurs fois, et je m’imprégnais de tous les designs. J’aime les mondes imaginaires de type médiéval-fantastique présents dans certains jeux de rôle.
Spell II, dessin original au feutre noir.
Wildflower, dessin original au feutre.
BloodMoon, Risographie en édition limitée sur papier Moulin du Coq / Hahnemühle, inspirée par l’effrayant événément Lune de Sang du jeu vidéo Zelda: Breath of the Wild.
La musique Métal elle, t’accompagne et t’inspire depuis toujours.
J’ai découvert le métal il y a un peu plus de 10 ans (outch… ô vieillesse ennemie…), ça a été un grand choc musical et esthétique. Je n’écoutais pas de musique, rien ne me plaisait vraiment. Et là d’un coup, des solos de guitare, de la batterie complètement démentielle, des chants survoltés, une atmosphère lourde ou mystique, sombre, voire désespérée… Je ne sais pas pourquoi mais ça a tout de suite fait sens et je me suis plongée là-dedans.
Il y a toute une iconographie, un ensemble de codes et de thématiques qui m’inspirent. L’emploi de symboles occultes, les caractères gothiques pour écrire le nom des morceaux ou du groupe, des images un peu mystérieuses qui ne veulent pas se dévoiler à vous et ne vous prennent pas par la main… Tout comme la musique d’ailleurs. J’ai développé une fascination pour certaines pochettes de black metal, les logos organiques totalement illisibles qui ressemblent à des ronces et des branches emmêlées… Avec le temps et un peu de recul, on peut percevoir ça comme un folklore comme un autre, malgré tout, ça n’a pas perdu son pouvoir sur moi et je me reconnais toujours dans ce genre de choses.
3 pochettes de métal que j’aime:
- Amorphis: Tales from the Thousand Lakes
- Blut Aus Nord: 777 The Desanctification
- Electric Wizard: Witchcult Today
L’univers de Marine Joumard dévoilé: influence métal, illustration au trait cerné et tatouage.*
Pourrais-tu nous dévoiler tes influences artistiques, le travail d’artistes, de tatoueurs que tu apprécies et que tu te fais encrer peut-être?
La liste est tellement longue, en voilà une infime partie ! Je vais me focaliser sur des créateurs vivants et majoritairement français (c’est le hasard cependant). Tous ne sont pas forcément des influences mais je suis fan de leur travail.
Valnoir/studioMetastazis, un graphiste qui réalise beaucoup de pochettes de disques que je trouve sublime, gros coup de cœur depuis le lycée, j’ai fait mon stage de BTS avec lui, je ne savais pas faire grand chose mais ça a été une super expérience. Il a contribué à enrichir l’iconographie métal et à proposer quelque chose de très singulier, immédiatement identifiable dans le milieu.
Freak City, qui a un style immédiatement reconnaissable, ses illustrations sont à tomber: lignes, couleurs, contrastes, composition, lettrages… wouaw !
Førtifem, qui se sont créés leur place dans le paysage de l’illustration français et c’est largement mérité, un jour je leur dirai que la moitié de mes t-shirts a été réalisé par eux…
J’aime beaucoup également les catalans Branca Studio qui font de superbes affiches de concert, avec un fort impact visuel, des manipulations photos, un petit feeling oldschool, souvent psyché…J’aime aussi les affiches du graphiste Pierre Jeanneau qui fait un travail sublime avec la typographie (regardez les affiches du théâtre de la Porte Saint-Martin, moi ça me rend folle !)…
Pour parler un peu de tatouage, j’adore le travail de Kelly Violence, Maud Dardeau, Alixe Cooper… Elles ont toutes un style différent mais ont la particularité d’officier dans du noir et blanc très précis. Mon dernier tatouage a été réalisé par Alixe Cooper, il est superbe !
Sur les étagères et sur les murs un petit monde illustré mélant souvenirs, littérature, illustrations et petits objets de famille.*
Si l’on s’invite chez toi, qu’est ce qu’on le trouvera aux murs et sur tes étagères ?
Sur les murs, tu trouveras des affiches que j’aime, comme celle du groupe Satyricon, ramenée de Norvège par une de mes meilleurs amies, celle du film “Carol” que j’ai adoré. Il y aussi de belles illustrations faites par mes proches.
Devant mon bureau, des plumes de paon, des petites figurines, des cartes postales kitsch qu’on m’a envoyées, une série de cartes postales ramenées de Pologne qui sont des reproductions d’affiches d’opéra, des illustrations… J’aime avoir autour de mon bureau un petit bazar relativement ordonné qui me fait m’y sentir bien, même en période de stress. Je lève la tête et je tombe nez-à-nez avec une sublime carte pailletée de la reine Marie-Thérèse d’Autriche, ça n’a pas de prix.
Sur les étagères, des plantes, de beaux objets anciens récupérés principalement chez ma grand-mère, des jolis cadeaux de mes amis, des peluches d’ours japonais, quelques CD (ma collection complète est chez mes parents) et surtout beaucoup de livres ! Éclectique, ça va de “Faust” de Goethe à la cuisine italienne.
Je sais que tu t’apprêtes à profiter de vacances bien méritées, avant de clôturer cette interview souhaites-tu nous dire quelques mots sur ton actualité : de nouvelles publications, des projets, des collaborations que tu aimerais réaliser ?
Je suis en train de clôturer un projet de longue haleine: des illustrations pour un livre autour d’expériences qui ont révolutionné la physique quantique. Un projet passionnant qui m’aura bien occupée ces derniers temps, j’ai hâte de pouvoir en dévoiler plus ! À la rentrée je vais travailler sur de nouvelles fiches pédagogiques illustrées, pour expliquer comment faire de la physique avec des smartphones. Ça s’annonce d’ores et déjà amusant.
Pour les projets perso, j’ai un peu 10 idées à la minute et peu de temps pour réaliser tout ça, je préfère ne pas trop m’avancer, mais j’espère de belles choses pour enrichir Les Petits Mondes dans le courant de l’année ! Un nouvelle riso ? des linogravures, des cartes postales… À suivre !
-> Retrouvez l’ensemble des oeuvres de Marine Joumard réalisées en exclusivité pour Les Petits Mondes ici, et découvrez son univers graphique sur son site.
Crédit photo: Les Petits Mondes, exceptées les photos légendées avec une *.
Le Bonus : la mini-playlist « On écoute quoi chez Marine ? »
Très très dangereux de me demander une playlist, mes proches le savent, règle numéro 1: ne JAMAIS me laisser une opportunité.
- Southern Gothic – Ulver (des rois, c’est tout, impossible de ne pas succomber)
- Servants – Zeal & Ardor (un suisse qui mélange un peu de metal extrême et de blues/gospel, c’est plutôt cool)
- Protection – Emma Ruth Rundle (sa voix me déchire le cœur)
- Ancestors, The Ancients – Chelsea Wolfe (la princesse des ténèbres, c’est tout)
- Joy through Death – Grave Pleasures (pour danser en perfecto)
- Aen Seidhe – The Witcher 3 OST (c’est beau et mélancolique)
- Uncertain to Me – Jessica93 (refrain à chanter à tue-tête et cette p***** de guitare…)
- Black Winter Day – Amorphis (un classique du death metal des années 90)
- The Mountain’s King Return – Summoning (magique et épique)
- Don’t beat the Girl out of my Boy – Anna Calvi (ma chanteuse préférée, tous genres confondus)